L’ orée du bois & les transports Pirot 2011

Salut, mon éditeur !

C’est ainsi que je le saluais toujours, au téléphone ou dans la vie. Cette tradition s’était instituée naturellement, dès le début de notre collaboration, et il répondait toujours à mon apostrophe par un petit rire. Il était content de s’entendre appeler ainsi, content de voir son travail reconnu aussi par les gens du métier, lui qui dans sa démarche allait plutôt vers les amateurs, les dilettantes, les passionnés, les simples amis, le peuple des amoureux de la chanson et des rivières. Christian n’avait pas le sens de la hiérarchie, la gloire ne l’impressionnait guère, et d’être face à une célébrité de la chanson ou à un helléniste mondialement connu, face à Gilles Vigneault ou à Jacques Lacarrière, ne l’empêchait pas de dire ce qu’il pensait et voulait. Sa franchise un peu brutale lui permettait de toucher les gens, et lui a attiré l’amitié de beaucoup d’artistes, écrivains, promeneurs de la langue, amoureux des vins et des mots.

Artiste, il l’était à sa façon, une façon discrète, transversale et têtue. Lorsque nous nous sommes connus, j’ai été frappé par le décalage entre sa simplicité d’abord et la grande finesse de son écriture, lorsqu’il racontait par exemple les paysages des bords de Creuse. Il suivait ses idées comme le fil des rivières, de la Vallée Noire au Val de Loire, des brumes du Berry à la lumière liquide de Touraine, avec obstination, avec rigueur, et avec une tendresse qu’il masquait sous les bourrades, mais que l’on voyait pétiller au coin des yeux quand il guettait une réaction de son interlocuteur.

On ne devient pas éditeur par hasard. C’est un choix difficile, hasardeux, un chemin jonché de difficultés, de déceptions, de combats obscurs. S’il a pu s’engager avec une telle énergie, c’est aussi grâce à la présence de Laurence à ses côtés, qui le rassurait et l’encourageait.

Pour que les livres existent, il faut une volonté opiniâtre, généreuse, ne pas compter son temps ni ses efforts afin que tout simplement ces objets de papier et de rêves puissent circuler, voler de l’un à l’autre, faire éclore d’autres rêves, alimenter d’autres passions. Christian a permis à bien des livres de trouver le cœur réceptif qui les attendait. Il ne sera plus là pour nous en parler, mais les livres restent chez nous et en nous, dans le souvenir de l’ami. Chaque fois que notre regard se portera sur les rayons de nos bibliothèques, Christian nous fera signe, il nous lancera son regard espiègle, nous serons avec lui.

Salut, mon éditeur.

Jean-Marie Laclavetine